( 6 septembre, 2008 )

Etre jeune aujourd’hui

06 Septembre 2008 .

  • Une jeunesse en désespoir, n’hésitant pas à mettre sa vie en péril

Les semaines et les mois se suivent et, hélas ! se ressemblent : ils nous apportent leur lot d’informations préoccupantes, parfois dramatiques concernant la jeunesse. La semaine dernière, nous apprenions le décès par électrocution du jeune chômeur protestataire Hicham Benjeddou Ala’imi, dans le village de Tebeddite, du bassin minier de Redeyef.

Quelques jours plus tard, samedi dernier, sur les côtes de Bekalta, faisait naufrage un zodiac ayant à son bord trois cadavres et 16 survivants repêchés qui n’ont dû leur salut qu’après avoir lutté pendant cinq jours contre les vagues, la faim, la soif et le froid. Ils faisaient partie d’un groupe plus large de 66 jeunes, dont on ne sait combien il compte de Tunisiens. Deux semaines plus tôt, nous apprenions que la mer avait rejeté sur les rivages du village de Aouled al-Mabrouk trois cadavres de jeunes Tunisiens, aventuriers de l’émigration vers l’Europe, le reste de leurs compagnons, au nombre de 23, étant portés disparus.

La liste des « harraka » préparant leur périple est longue ; le désir de quitter le pays au péril de sa vie est devenu grand chez une fraction importante de notre jeunesse. Les cadavres qui nous reviennent et ceux, plus nombreux, qui disparaissent à jamais dans les profondeurs de la mer Méditerranée sont l’expression de l’échec de notre pays, l’expression de son incapacité à lui offrir des horizons.

  • Le désespoir de la jeunesse : des racines profondes

L’immense majorité de la jeunesse est confrontée à des temps difficiles. Les diplômés de l’enseignement supérieur eux-mêmes sont, dans leur très grande majorité, réduits au statut de chômeurs ou de semi-prolétaires. L’enquête nationale sur le devenir des diplômés de 2004, une année et demie après leur sortie de l’université, dont nous avions rendu compte dans notre précédent numéro, a révélé que près de la moitié d’entre eux étaient au chômage et que le tiers seulement avaient un emploi, le reste étant constitué soit de stagiaires SIVP, soit d’inscrits en formation complémentaire ou en études plus avancées, le plus souvent en situation d’attente d’un emploi. Quant au tiers des diplômés ayant un emploi, sa majorité est composée de jeunes occupant des emplois d’une qualification inférieure à leurs capacités ou n’ayant pas de lien avec leur formation, des emplois précaires, qu’ils veulent quitter.

Et les autres enquêtes internationales qui portent sur le niveau de nos élèves révèlent et confirment, malheureusement sans l’ombre d’un doute, une situation déplorable. Que ce soit en mathématiques, en sciences ou en compréhension de l’écrit ; que ce soit pour les élèves de la 4e année ou de la 8e année de l’enseignement de base ou des élèves âgés de 15 ans, que ce soit pour les tests effectués en 1999, en 2003 ou en 2006, les résultats sont, pour ainsi dire, identiques : la Tunisie est en queue de peloton des pays étudiés (les pays de l’OCDE et un groupe plus ou moins important selon les années de pays en développement).

Sur l’ensemble des tests, en règle générale, huit élèves tunisiens sur dix ont un niveau élémentaire ou inférieur à celui-ci, tandis que dans des pays tels que la Corée ou Singapour, la situation est inverse : plus de huit élèves sur dix ont un niveau supérieur au niveau élémentaire.

Victime d’une dégradation générale du niveau de l’enseignement, confrontée à un chômage sans précédent, employée à des tâches subalternes quand elle a la chance d’avoir fréquenté les bancs de l’université et d’avoir un emploi, la jeunesse d’aujourd’hui n’a pas de place dans la cité. Elle est sans voix. Tous les cadres de son expression libre et autonomes sont bouchés et, au besoin, manipulés. Et quand elle veut faire entendre sa différence et, parfois, son drame, elle est durement réprimée.

  • Décoder les messages des nouveaux combats

Le désarroi de la jeunesse n’est pas seulement le sien. Il est, par ricochet, mais avec une acuité probablement plus grande, celui des parents. Car il n’y a rien de plus terrible, rien de plus angoissant, pour une mère et pour un père, que de voir l’enfant que l’on a élevé –de surcroît quand on l’a vu réussir ses études- abattu, oisif, sans espoir. Le mouvement qui se déploie dans la région minière de Gafsa depuis près de cinq mois exprime cette réalité : ce ne sont pas les jeunes chômeurs qui sont à la pointe de la protestation, ce sont leurs mères et leurs pères. En édifiant des tentes, en en faisant leur nouveau foyer, ils montrent, sans doute sans le savoir, que le chômage de leurs enfants est à ce point douloureux que le confort le plus essentiel leur est devenu indifférent, et ils disent à tous ceux qui veulent les entendre que la revendication de leurs enfants est marquée du sceau et de la sagesse des adultes, et qu’elle est d’abord la leur. Le mouvement qui se déploie dans la région minière de Gafsa est original, pour ne pas dire unique : il apparaît, non pas comme un mouvement social, mais comme un mouvement sociétal. La détresse de la jeunesse déborde : elle devient celle de leurs parents, celle de toute une région.

  • Derrière la jeunesse, une recomposition du corps social ?

De manière plus sourde, cette détresse n’est pas seulement celle de Gafsa, même si c’est là qu’elle est la plus largement partagée. Plus profondément, une recomposition du corps social tunisien est probablement en train de s’opérer : pays de classes moyennes par leurs statuts dans les processus productifs, leurs niveaux de revenus et leurs avoirs, la Tunisie n’est-elle pas en train d’assister à une fragilisation de ces classes à travers, justement, le statut dévalorisé de leurs enfants ?

« La jeunesse est la solution » entend-on dire autour de nous en cette « année de consultation de la jeunesse ». Qui y croit vraiment ? Qui ne sait que la jeunesse est, aujourd’hui, un moment bien difficile à vivre dans notre pays ?

Mahmoud Ben Romdhane


Pas de commentaires à “ Etre jeune aujourd’hui ” »

Fil RSS des commentaires de cet article.

Laisser un commentaire

|