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Le troisième bras d’Azwaw :
Par : Chawki Amari
Quotidien El Watan, Dimanche 11 Octobre 2009.
Le troisième bras d’Azwaw
Oui, encore de l’histoire, à défaut d’avenir. C’était le 10 octobre 1988, Azwaw perdait un bras dans la fusillade de Bab El Oued, où 39 personnes mourraient, abattues sans sommation par la peur panique d’un régime qui voit dans chaque manifestant un extraterrestre vert qui veut prendre sa place. Relativement, Azwaw est donc un chanceux parmi les malchanceux, puisqu’il n’a perdu qu’un bras alors que d’autres ont tout perdu, ne serait-ce que la tête. En cet octobre 2009, Azwaw est parti déposer une gerbe de fleurs pour une commémoration toute symbolique, 21 ans après. Bien sûr, la police était là pour commémorer l’état d’urgence et a demandé l’évacuation rapide des lieux. Le temps d’un bilan tout aussi rapide d’une pose de fleurs de saison, les interdictions de l’année ont été énumérées. Interdites par la police ou les forces de l’ordre d’une manière générale, la liste des manifestations, commémorations ou rencontres est longue au point de ressembler à la liste des produits d’importation.
Hier, une rencontre sur l’abolition de la peine de mort a été interdite, comme si la mort était de force, supérieure à la vie. Depuis le début de l’année, pêle-mêle, les autorités ont ainsi interdit des rassemblements de disparus, de vivants, de syndicalistes, de moudjahiddine, de défenseurs de la Palestine, de la démocratie, des femmes, des oiseaux, des gazelles, bref, tout sauf les manifestations de soutien au président de la République. Pour cette raison, en cet octobre 2009, le 3e bras d’Azwaw a poussé, plus long que les autres, plus tordu peut-être, mais bien décidé à exister, parce que pour d’étranges raisons, El Qods mobilise plus les Algériens que l’Algérie. Oui, parlons d’autre chose, qui intéresse plus les gens. Aujourd’hui, l’Algérie affronte le Rwanda pour une qualification à la Coupe du monde. Le but ? Aller en Afrique du Sud. Loin, très loin de Bab El Oued.
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RASSEMBLEMENT A BAB-EL-OUED A LA MEMOIRE DES VICTIMES D’OCTOBRE 88 :
POUR AZOUAOU : DES FLEURS ET DES TALKIES-WALKIES :
lycée l’Emir, en face de la DGSN, en hommage aux victimes des événements d’Octobre 1988. C’est Azouaou Hamou L’Hadj, figure emblématique de l’association AVO 88 (association des victimes d’octobre 1988) qui est l’auteur de cette initiative. Azouaou était au nombre des innocents happés par une fusillade meurtrière un certain 10 octobre 1988 (lire notre article : « Azouaou, le bras désarmé d’Octobre », in El Watan du 9 octobre 2009). Cet ancien artisan bijoutier avait alors été criblé de neuf balles qui lui coûteront son bras gauche et des séquelles indélébiles sur le visage. Il avait à peine 21 ans. Vingt-et-un ans après ces péripéties sanglantes, Azouaou a tenu à revenir sur les lieux du drame et déposer une gerbe de fleurs à la mémoire des chouhadas d’octobre 88, et tout particulièrement, les 39 victimes tombées ce jour-là. « Moi je revendique un statut particulier pour les victimes d’Octobre en tant que victimes d’une bavure d’Etat et non pas d’un « accident de travail » comme on nous désigne honteusement » nous explique-t-il. « C’est ici que je suis tombé » se remémore-t-il en montrant du chef un portail vert attenant au lycée Emir Abdelkader. « Voyez ce mur : il y a encore les impacts de balles qui témoignent de la boucherie. Ce mur-là par contre a été recouvert de ciment pour effacer les stigmates des automitrailleuses » poursuit notre ami avec émotion.
Le rassemblement auquel avait appelé Azouaou a commencé à se former à partir de 10h30 au sein de l’un des cafés adossés au boulevard du 1er novembre. Petit à petit, les gens ont commencé à s’agglutiner autour d’Azouaou. Parmi les présents, Yacine Teguia, membre du bureau national du MDS, Hakim Addad, secrétaire général de RAJ, l’opposant et journaliste Arezki Ait Larbi, le comédien Kader Farès Affak (personnage principal dans « Gabla », de Tarik Teguia). Il y avait également des écrivains et journalistes dont le chroniqueur Chawki Amari ainsi que notre collègue Adlène Meddi. Brandissant une gerbe de fleurs, le cortège s’est ébranlé du café « 1er novembre » en direction du lycée l’Emir. Azouaou a, alors, accroché avec son bras épargné par la machine de la répression, la couronne de fleurs sur la grille du lycée, juste en face du bâtiment de la DGSN. Comme il fallait s’y attendre, la police n’a pas tardé à se manifester. Un officier de police en civil et en lunettes, arborant un talkie-walkie, accourut pour s’enquérir de l’objet de ce rassemblement qu’il avait jugé d’emblée menaçant pour l’ordre public. « N’touma chkoun ? Andkoum autorisation ? » (Qui êtes-vous ? Avez-vous une autorisation ?) ». « Les forces de l’ordre avaient-elles une autorisation quand elles ont arraché le bras d’Azouaou et canardé 39 citoyens algériens ? » rétorque-t-on. Arezki Ait Larbi enchaîne : « Nous sommes venus déposer une gerbe de fleurs, pas poser une bombe. » Les éléments de la police continuent d’affluer et envahissent en force le périmètre. « Qu’est-ce que je vais dire maintenant à mes supérieurs ? » revient à la charge l’officier en lunettes. Un autre policier en civil muni d’un talkie-walkie tente de calmer les esprits. « On veut bien vous laisser, mais cela risque de causer des débordements et on ne veut pas de « machakel ». Vous êtes quand même en face de la DGSN » implore-t-il. La sérénité l’emporte assez vite sur la colère et la cérémonie finit par se tenir malgré tout. Au préalable, la police s’empare de la pièce d’identité d’Azouaou en guise de gage. Une minute de silence est observée suivie de quelques mots d’Azouaou au cours desquels il est revenu sur ce qui s’est passé ce funeste lundi 10 octobre 1988 en ayant une pensée émue pour celles et ceux qui étaient tombés ce jour-là. Le geste, plus symbolique que bruyant, avait le goût d’une victoire sur l’amnésie. « L’important est de marquer le coup » se dit-on. Il est vrai qu’une simple gerbe de fleurs peut avoir raison d’une forêt de talkies-walkies…
Mustapha Benfodil
Rassemblement autour d’Azouaou le 10 octobre 2009 à Bab El Oued. Photo: Malika Taghlit (El Watan)
Un certain « Bloody Monday » à Bab El Oued : Azwaw, le bras désarmé d’Octobre
Par : Mustapha Benfodil
Quotidien El Watan, Vendredi 09 Octobre 2009.
Azwaw Hamou L’hadj. Voilà un nom qui fait carrément corps avec Octobre. A tel point qu’il lui a donné un bras. Avec son moignon rageur, lui qui est amputé du bras gauche depuis 21 ans en « accidenté du travail » des chars d’Octobre 88, ce grand gaillard au cœur vaillant arpente les couloirs des rédactions en familier des arcanes de la presse indépendante, « sa » presse, sa seconde famille.
Elle qui doit tant à son « bras d’honneur » laissé sur les pavés démocratiques un certain lundi 10 octobre 1988. Un « bloody monday »… « Ce jour-là, je traînais du côté de Bab El Oued vers 14h. Dans la matinée, Ali Benhadj et ses troupes avaient organisé un rassemblement à Belcourt avant de se disperser dans le calme. A Bab El Oued, l’ambiance était donc relativement détendue. Moi, je passais près de la DGSN quand soudain, j’ai entendu des coups de feux. Sans doute des provocateurs qui voulaient semer le trouble dans la capitale et provoquer un bain de sang. Et leur coup n’a pas raté : les militaires postés autour du bâtiment de la DGSN, pris de panique, ont commencé à riposter d’une façon nerveuse et anarchique. Ils ont même utilisé des armes lourdes.
En quelques minutes, la fusillade fait 39 morts et des dizaines de blessés. Dans le lot, il y avait une femme enceinte qui a été touchée. A un moment donné, une jeune fille est fauchée de plein fouet sous mes yeux. Elle a eu carrément la tête arrachée, et des fragments de sa cervelle m’ont éclaboussé. J’allais me porter à son secours quand j’ai été criblé de balles à mon tour. J’ai été mitraillé de neuf balles qui m’ont troué le corps de la tête aux orteils. Mon bras gauche était totalement pulvérisé. J’ai été évacué à l’hôpital Mustapha où j’ai passé quatre mois entiers à me faire recoudre de part en part. Hélas, mon bras gauche était jugé irrécupérable. » Azwaw nous fait ce récit avec un détachement inouï, son moignon témoignant avec fracas de chaque mot éructé par sa mémoire en lambeaux. « Curieusement, je ressens encore mon bras bouger, et je sens même fourmiller mes doigts », poursuit-il avec ce courage des humbles qui ont la délicatesse de transformer leurs drames les plus dévastateurs en anecdotes doucereuses, par pudeur ou par orgueil. Car Azwaw n’est pas de ceux qui viennent se plaindre en monnayant le moindre bobo pour cueillir une réparation sonnante et trébuchante.
Réparation politique
Réparation. Quel mot vain et pompeux ricane Azwaw vingt et un ans après ! Il avait d’ailleurs ce même chiffre au compteur du temps : 21 ans. Azwaw était alors artisan bijoutier. Un orfèvre des métaux précieux donc transformé par l’horreur des métaux perforateurs et des balles explosives taillées dans la tyrannie en manchot à vie. Pourtant, le rêve le taraude toujours de reprendre du service un jour et réapprendre à transformer en or sa jeunesse sacrifiée et son algérianité bafouée. Réparation. Réparer quoi, est-il en droit de s’insurger ? Son bras broyé par les snipers affolés de Nezzar ? Ses rêves juvéniles pilés par les chars ? Ses doigts délicats écorchés à « l’arrache-chair » ? Ou bien ses espoirs citoyens sabordés sur l’autel de la brutalité martiale ? « Moi, je tiens Chadli pour premier responsable de ce carnage qui a suivi les événements d’Octobre ! Et je regrette d’ailleurs qu’il ne se soit pas expliqué là-dessus dans l’excellent livre de SAS (Octobre, ils parlent, ed. Le Matin, 1998) ni dans les colonnes de la presse », s’indigne Azwaw qui accable en passant les officiers opérationnels de l’ANP et du renseignement qui eurent à gérer « l’opération de rétablissement de l’ordre », un doux euphémisme pour évoquer la répression qui s’est abattue sur les insurgés dans la foulée (et la folie) de cet automne incandescent.
Alors, pour ne pas oublier, pour rappeler à notre mémoire ces 39 morts, nous dit Azwaw, parmi lesquels notre défunt confrère de l’APS Sid-Ali Benmechiche, Azwaw a pris sur lui d’organiser une cérémonie de recueillement à la mémoire des victimes d’Octobre 1988 et de son bras écrabouillé par la machine de la répression. Pour lui, c’est surtout une manière de convoquer l’un des épisodes les plus marquants de notre « affect démocratique » qui a permis tout de même quelques acquis, si ténus et si controversés puissent-ils être. Azwaw ne peut s’empêcher de songer en l’occurrence aux reniements massifs de ceux qui sont liés organiquement, insiste-t-il, à Octobre 88, et qui tournent le dos à ce moment fondateur. « Aujourd’hui, les victimes d’Octobre sont seules face à leur destin », soupire-t-il avec une amertume mâtinée de colère. Devant le « lycée Redouane Osman » Ce qui le peine par-dessus tout, c’est le « négationnisme » de la nation vis-à-vis des victimes d’Octobre. « Les réprimés d’Octobre 88 ont été répertoriés comme victimes d’un accident de travail ! En vertu de quoi, je touche une pension ridicule de 6000 DA ! » fulmine Azwaw. N’était un poste arraché en 2000 comme employé des chemins de fer, ce père de trois enfants aurait bien du mal à faire vivre sa petite famille.
Aujourd’hui, confie-t-il, il caresse le rêve de reprendre ses outils et retrouver les gestes créateurs du joaillier qu’il fut. « Certains m’ont proposé de leur vendre mon matériel d’orfèvre et j’ai crânement refusé. Je l’ai jalousement gardé dans un fût rempli de mazout dans mon village, en Kabylie, pour le jour où le métier me démangerait. » Et de plaider pour une réparation morale et politique, étant entendu que de toute façon, il ne retrouvera pas son bras. Azwaw est habité par la solitude d’un Ras El Kabous, emporté par les humiliations tatouées sur son corps. Il est déterminé en tout cas à écrire l’histoire avec son moignon car il sait que tout manchot qu’il est, il ne trébuchera pas sur les mots pour crier justice et dire l’infamie. D’où la cérémonie de demain (samedi). Celle-ci aura lieu à partir de 11h, en face de la DGSN, devant le lycée l’Emir, ou le lycée « Redouane Osman » (dixit Hakim Addad). Pourvu que la police de Zerhouni ne s’en mêle pas. Pour rappel, lundi 5 octobre, une cérémonie commémorative organisée par RAJ a tourné au vinaigre avant de se transformer en marche populaire qui a enflammé Alger de sahat Echouhada à la Grande-Poste.
Par
Nous vous informons sur la diffusion de l’initiative du RAJ plus la marche du 5 Octobre 2009 sur France 24 , émission hebdomadaire « Une semaine au Maghreb » :
Le Samedi 10 Octobre 2009 : 17h40 et 23h10 Heure Algérienne .
16H40 et 22H10 Heure GMT .
Le Dimanche 11 Octobre 2009 : 13h10 et 16H40 Heure Algérienne
12H10 et 15H40 Heure GMT.
Le Lundi 12 Octobre 2009 : 14H40 Heure Algérienne .
13H40 Heure GMT.
LADDH : Communiqué :
Communiqué
Malgré les interdictions, nous continuerons d’exister…
C’est vers 17 h00, jeudi 8 octobre 2009, que la Ligue Algérienne pour la Défense des Droits de l’Homme (LADDH) a reçu la notification écrite, des services de la DRAG de la Wilaya d’Alger, lui interdisant de tenir la rencontre nationale sur l’abolition de la peine de mort le samedi 10 octobre à l’Hôtel El Biar à Alger.
La LADDH dénonce avec la plus grande énergie cette interdiction non justifiée, et qui ne peut trouver sa justification que dans la gestion arbitraire des affaires de l’Algérie.
Par cette interdiction, les autorités expriment le refus paranoïaque à toute initiative de la société civile qui vise à installer un débat national incluant les représentants de l’Etat sur des sujets qui concernent toute la société, notamment la question de la peine de mort.
Résolue à poursuivre sa lutte pour faire avancer les choses, la LADDH maintient cette rencontre qui rentre dans le cadre de la célébration de la journée mondiale l’abolition de la peine de mort du 10 octobre. Elle se tiendra le samedi 10 octobre 2009, à partir de 9h30 au niveau de son siège sis au 5 rue Frères Alleg, « ex Pierre Viala », 101 Didouche Mourad, Alger.
Alger le 8 octobre 2009
Le Président
Mostefa Bouchachi
RAJ Communiqué
Alger le 09/10/2009
Communiqué ,
Une fois n’est pas cotume , « ILS » interdisent !. Cette fois ci , c’est pour la conférence organisée demain par la LADDH sur la peine de mort et qui devait avoir lieu dans un hotel de la capitale .
Une fois n’est pas coutume aussi , l’initiative est comme même maintenue et aura lieu , au siège de la Ligue , 101 Didouche Mourad a partir de 9h30 . Soyons y nombreux (ses) .
Le RAJ condamne cette nouvelle interdiction et des enRAJés seront présents demain Samedi au siège de le Ligue .
La Résistance est là et doit se montrer.
Hakim Addad
S.G du RAJ
L’après-Octobre 1988:
L’Algérie entre affairisme d’Etat et déficit démocratique
Par : Ammar Koroghli *
* Avocat-auteur algérien
Le quotidien d’Oran, 08 Octobre 2009.
D’une manière générale, le bilan du pouvoir algérien fait ressortir les incohérences d’une stratégie et son coût social, la croissance des dépenses improductives, la non-maîtrise de l’appareil productif, la formation de féodalités économiques et politiques (techno-bureaucratie civile et militaire), les dangers de l’extraversion et le mépris des masses en prime.
Ainsi, ni l’autogestion et le «gouvernement par le parti», ni les «industries industrialisantes» n’ont produit la matrice nécessaire au décollage économique. Pas plus que l’économie de marché tant annoncée. De même, le caractère d’exploitation qui découle de la confusion entre formes juridiques de propriété et rapports de production n’a pas été supprimé. Par ailleurs, depuis la Constitution de 1976 à ce jour, un régime présidentialiste hermétique à l’opposition a été mis en place, le président de la République ayant droit de vie et de mort sur l’ensemble des institutions. Certes, en apparence du moins, depuis la Constitution de 1989, le pouvoir cherche à tempérer cette situation par la répudiation du parti unique et du «socialisme spécifique» pour épouser l’économie de marché, l’adoption du principe de la séparation des pouvoirs (appelées fonctions auparavant) et le renvoi de la direction de l’armée hors de la sphère du politique. Cependant, pour peu qu’elles soient appliquées, ces innovations ne doivent pas masquer les carences préjudiciables au devenir de la démocratie en Algérie (le viol de la Constitution n’étant que la partie émergée de l’iceberg).
En effet, le chef d’Etat conserve, au-delà de l’écran politique du pluripartisme affiché, la haute main sur les institutions: il pourvoit aux postes élevés de l’Etat – civils et militaires -, il nomme et destitue le chef du gouvernement qui est responsable devant l’Assemblée, il peut procéder à la dissolution du Parlement avec lequel il a l’initiative des lois. Le président de la République demeure donc le centre «dictatorial» du pouvoir, ne fût-ce que du fait de son irresponsabilité politique; ainsi, échappe-t-il à tout contrôle populaire. En ce sens, depuis l’indépendance, les différentes Constitutions algériennes sont constantes. Evoluant dans le cadre d’un régime présidentialiste, le modèle de développement élaboré par le Conseil de la Révolution et poursuivi dans la perspective d’une politique dite «changement dans la continuité», a sécrété un capitalisme d’Etat bureaucratisé et situé à la périphérie de l’économie mondiale de marché.
Dès son accession au pouvoir, chaque équipe au pouvoir s’emploie à annoncer de «grandes réalisations» (voire des plans de relance qui ne sauraient faire office de politique économique), feignant d’omettre les déséquilibres profonds et sérieux vécus au quotidien par le commun des citoyens. L’autoroute est-ouest est devenue un fétiche. La fracture sociale, culturelle et politique ne semble pas incommoder outre mesure nos dirigeants politiques; ils n’ont pas hésité, en son temps, à désigner à la vindicte publique les exploitations agricoles (autogérées et coopératives) pour corroborer leur analyse militant en faveur d’une politique économique dont le secteur privé doit devenir la pierre d’angle au détriment du secteur public qui a servi de tremplin aux différentes fractions de la bourgeoisie algérienne pour asseoir leur hégémonie, et à l’ombre duquel des fortunes colossales se sont constituées. «L’après-pétrole» étant devenu depuis longtemps le leitmotiv de la stratégie politique du pays, avec pour toile de fond la réorientation de la doctrine économique.
Les grands axes en sont connus: la transformation des grandes entreprises (type Sonatrach), l’appel au secteur privé et au capital étranger et la relance de l’agriculture par la remise des terres nationalisées à leurs propriétaires. Cette nouvelle vision de l’économie conduit à une remise en cause au niveau des alliances. L’affairisme d’Etat favorable aux couches bourgeoises sert de soubassement à cette réorientation. Contre mauvaise fortune, le régime fit dès après 1988 le diagnostic de ses propres maux. Inaugurant ce mea-culpa, le chef de l’Etat d’alors eut à évoquer une perte de revenus. Il annonça des mesures destinées à réduire les achats à l’extérieur et un programme d’austérité en matière de dépenses publiques. Par ailleurs, la faible rentabilité du parc industriel – devenu un secret de polichinelle car tournant à environ 30-40% de ses capacités – s’accompagna d’une baisse sensible de la production agricole nationale, ne couvrant plus que 40% des besoins alimentaires dont 60% sont assurés par les importations au niveau des cultures céréalières, maraîchères et l’essentiel des viandes rouges.
Par ailleurs, le secteur privé s’est élargi, de plus en plus depuis, à l’agriculture, la pêche, la transformation, la construction, le commerce et les prestations de service. Contrairement à la Tunisie et au Maroc, l’Algérie a peu d’arboriculture fruitière et l’élevage reste une activité traditionnelle et cantonnée aux nomades ou semi-nomades des Hauts Plateaux et du Sud. De la même manière, un domaine aussi vital que celui de l’habitat est abandonné au pouvoir de l’argent alors que, du fait du dépeuplement des campagnes, le taux de croissance annuel de la population urbaine oscille autour de 6% contre 4,5% au Maroc et 4% en Tunisie. Pour étoffer cette politique dite «pragmatique» entamée avant les «événements» d’octobre 88, le pouvoir en place s’est doté d’un arsenal juridique en vue d’asseoir, d’une manière durable, une économie de marché qui devait constituer l’infrastructure de ses réformes. La principale de ces lois concerne la monnaie et le crédit qui introduit la possibilité pour les entreprises de transformer leurs obligations provenant de dettes ou de créances, en actions.
En outre, la convertibilité du dinar comme préalable à la relance économique, devait «rendre à la monnaie nationale sa valeur réelle», sachant que la sphère informelle détient en toute vraisemblance plusieurs milliards de dinars échappant totalement au circuit bancaire». Par ailleurs, la situation des entreprises nationales est désastreuse; à titre illustratif, «Air Algérie» a eu à enregistrer un déficit de 800 à 900 milliards de centimes. S’agissant de la dette extérieure (43% du PNB), elle était financée par les exportations des hydrocarbures (96%), absorbant 40% des investissements. D’après la Banque d’Algérie, le service de la dette pour 1990 a été de 7 milliards de dollars entre principal et intérêts, soit 60% des recettes d’exportation. Pour refinancer celle-ci, l’Algérie avait alors demandé au Crédit Lyonnais, d’être le chef de file d’un consortium bancaire international chargé de lever un emprunt de 2 milliards de dollars pour «pallier le remboursement du service de la dette sans sacrifier la croissance économique». Certes, la dette est résorbée, mais sans doute au détriment des investissements.
La politique économique algérienne – ou ce qui en tient lieu – semble privilégier l’aspect monétaire, l’objectif fondamental des réformes devait concerner «la réduction de la masse monétaire dont les instruments principaux sont le flottement du dinar, l’inflation et le drainage de l’épargne par une réorganisation du dispositif bancaire». En vain. La traduction de cette politique économique pousse le pouvoir à mettre en place un marché financier et une bourse, à la refonte du code de commerce relativement à l’émission des valeurs mobilières, à libérer plus de 90% des prix et à pousser les dirigeants des banques et des entreprises à jouer le rôle de propriétaires en économie de marché. A cet égard, M. Hidouci, ex-ministre de l’Economie, a pu dire: «Nous avons obtenu du FMI et de la Banque mondiale qu’ils déclarent notre programme juste du point de vue de l’orthodoxie économique… Ce qui est attendu de nous, en réalité, c’est de privatiser». Or, la dénationalisation du secteur public n’assure-t-elle pas un ticket pour une «solution à la polonaise»: 1 million de chômeurs et 1.000% d’inflation en 5 semaines (1,4 million pour l’ex-Yougoslavie et 2 à 3 millions pour l’ex-RDA).
Ainsi, il est loisible de constater au grand jour des différenciations sociales jusqu’ici inégalées, y compris chez les couches moyennes. De fait, il semblerait que les cadres moyens et supérieurs, dans les entreprises et les administrations, souffrent tout comme les catégories sociales à bas revenus. Ainsi, si ces cadres ne contestent pas les «vertus thérapeutiques des réformes» et marquent leur préférence pour l’économie de marché jugée plutôt efficace, ils redoutent néanmoins l’inflation et la dévaluation du dinar, l’aggravation du chômage et la gestion des relations de travail devenues difficiles. Sans doute, comme l’a remarqué M. Benissad, (économiste), «Ce n’est pas parce qu’on a augmenté les taux d’intérêts, déprécié le taux de change, ou libéré les prix que l’on va résoudre les problèmes vrais que vit l’économie algérienne». C’est le cas de l’Argentine et du Brésil, deux géants aux pieds d’argile.
Face à la montée du péril social, l’état d’urgence qui mit fin à la «récréation démocratique» (sorte de démocratisation «spécifique») et mit l’Algérie face à un syndrome tout à la fois libanais – déliquescence de l’Etat – et polonais – crise économique aiguë -, La Mecque des révolutionnaires hésiterait-elle entre une «solution à la chilienne» et une révolution des oeillets ?
* Avocat-auteur algérien